Publié sur les Impromptus Littéraires d'après la jaquette aléatoire générée par le site "untitre" d'Omer Pesquer
Quand
il réalisa que ses mots restaient vains, le Créateur se demanda si
le monde n'était pas devenu sourd comme un pot; alors - bien que ce
fut son jour de repos - il descendit sur la planète bleue pour en
faire le constat.
C'était
dimanche... il chercha de-ci de-là tout ce qu'il avait fait et vit
tout ce qui en avait été fait, et ça n'était pas bon.
Sept
milliards d'hommes et de femmes fécondes qui s'étaient
frénétiquement multipliés - l'oreille rivée à six milliards
d'étranges petites boîtes rétro-éclairées - se croisaient sans
se voir dans un brouillard fait d'ondes électromagnétiques et de
fines particules et il vit que ça n'était pas bon.
Alors
il souffla une onde si puissante que toutes ces machines infernales
cessèrent de fonctionner mais les gens déconnectés restaient
sourds.
Ainsi,
il y eut une sorte de soir, et il y eut une sorte de matin, quelque
chose de plus clair ou de moins opaque : il fit jour.
Il
vit des oiseaux en cage, des reptiles en sac à main, des animaux
exotiques sortis des soutes des avions et qu'on commerçait à prix
d'or et aussi des massacres, des éléphants sans défense sur ce sec
qu'il avait baptisé terre, des grands poissons dépecés sur cet
amas des eaux qu'il avait baptisé mer et aussi des phoques sur la
banquise canadienne, tabarnak !
Il
vit des gens - au nom de la consommation galopante - pousser des
chariots métalliques remplis de victuailles génétiquement
modifiées ou dopées aux pesticides et ça ne devait pas être bon.
Il
vit la terre éventrée d'où sortaient des flots de pétrole
aussitôt brûlé dans des engins trompeusement propres et agglutinés
sur de mortels rubans d'asphalte.
Alors
il referma vivement les entrailles de sa Terre et bien des bruits
cessèrent mais les gens affamés et immobiles restaient sourds.
Ainsi,
il y eut un soir calme, et il y eut un matin calme aussi, quelque
chose de silencieux ou de moins bruyant : il fit jour.
Il
vit au-delà d'une trouée de la couche d'ozone un cimetière de
satellites abandonnés et aussi un manège de stations spatiales qui
s'affairaient à créer un semblant de vie où il n'y en a pas et ça
n'était pas bon.
Alors
il vida les nues de ces scaphandriers du ciel et de leurs coûteux
cerf-volants, il éteignit une à une les étoiles mais les gens
restaient sourds, le regard perdu vers le firmament.
Ainsi,
il y eut un soir sans nuages, et il y eut un matin perceptible,
quelque chose d'éthéré : il fit jour.
Dans
les hémicycles il entendit des rois de la jungle qui rugissaient
devant des parterres de chacals assoupis, mais ils beuglaient tous la
même chose - chômage, exclusion, attentats, croissance économique,
écologie - avec l'air d'y croire vraiment et ça n'était pas bon du
tout.
Il
vit cette chose aberrante de gens qui dressaient des murs aux
frontières quand d'autres en avaient détruit vingt cinq ans
auparavant, d'autres gens jetés sur les routes par la misère ou le
fanatisme et qui croyaient qu'il fait toujours beau derrière le mur
des autres.
Alors
il soupira, souffla fort sur ces tristes clôtures mais tous les gens
réunis restaient sourds.
Ainsi,
il y eut un soir sans obstacles, quelque chose de lisse, de plat, de
morne et ça n'était pas bon non plus.
D'une
voix qu'il voulait forte le Créateur tenta un dernier plaidoyer, il
parla d'Amour - c'est ce qu'il savait faire de mieux - mais ses mots
restèrent vains; le monde était sourd comme un pot.
Alors
sans attendre un nouveau matin, il vida le pot et débrancha les deux
luminaires qui éclairaient le jour et la nuit.
Comme
il regagnait son royaume, un immense murmure monta de la planète
bleue.
Demain
il rebrancherait tout ça, mais autrement... le peuple des sourds
allait devoir s'adapter.
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