mercredi 20 avril 2016

Le fil à la patte

Publié aux Impromptus Littéraires sur le thème de l'uchronie:
L’auteur d’une uchronie prend comme point de départ une situation historique existante et en modifie l’issue pour ensuite imaginer les différentes conséquences possibles.






En ce 2 juin 1896 dans le train qui le ramenait d'Angleterre vers son Italie natale, le jeune Guglielmo se sentait bien triste et incompris.
Si le gouvernement italien n'avait vu aucun intérêt à son invention, il attendait beaucoup des rosbifs mais ceux-ci lui avaient ri au nez après son expérience avortée... et un angliche qui vous rit au nez ça vaut bien une paire de calottes du père Marconi !
D'ailleurs, du haut de ses vingt deux ans il allait encore prendre une paire de calottes.
Comment un italien émigré avait-il osé aller défier les scientifiques britanniques?
Il entendait déjà la voix de son maître et eut un sourire amer ; les frères Pathé venaient d'avoir plus de chance que lui avec leur gramophone – mélange d'essoreuse à salade et de cornet géant – Nom d'un chien !
Sans compter Tesla et Edison, ces deux monstres qui se disputaient la vedette à coups d'inventions, défendant qui le courant continu qui le courant alternatif au point d'accoucher de cette monstrueuse chaise électrique... que n'imaginait-on pas au nom du progrès et de la science!
Comble de honte, un de ses compatriotes un certain Italo Marchiony venait de mettre au point l'affaire du siècle, le cône de crème glacée, alors qui se soucierait d'un gamin qui tape du morse au bout d'un fil en priant Dieu qu'on le recoive à l'autre bout ?

Après les « Buono a nulla» (Bon à rien) du vieux Giuseppe viendraient les « Oublie toutes ces bêtises » puis on lui dirait de trouver un vrai boulot, de fonder une famille et tutti quanti.
Il serait carabinier ou conducteur de tramway, épouserait une bolognaise bien nourrie aux spaghetti, lui ferait quelques marmots et la famille serait contente.
Et dire qu'un an plus tôt dans les Alpes suisses il avait réussi à transmettre sur un kilomètre et demi quelques ti-ti-ti-ta-ta-ta entre deux antennes grâce aux ondes de Monsieur Hertz, au cohéreur de Monsieur Branly et aux antennes de Monsieur Popov.
Le vieux Giuseppe s'était marré : « Branly et Popov ! On se croirait à la commedia dell'arte!»
Guglielmo est abattu, lui qui s'imaginait riche et célèbre roulant à bord d'une Alfa Roméo et écoutant des programmes musicaux à distance; il appellerait ça un... autoradio !

15 avril 1912: Guglielmo épouse Carla Bronzi – un mannequin turinois issu d'une famille de musiciens – sous les yeux ravis de son vieux tandis qu'un paquebot dénommé Titanic embrasse un iceberg dans le silence le plus total.
Morse avait pourtant imaginé le SOS … --- … mais pas le fil invisible qui relierait les hommes pour leur sécurité et leur confort.

Dix ans plus tard en 1922 nait la BBC – la Brown, Boveri et Cie – compagnie de matériel féroviaire où Guglielmo va se rendre célèbre en imaginant l'affichage de sécurité “è pericoloso sporgersi” qui évitera tant de défenestrations.

1924: Emile Pathé – l'inventeur du gramophone qui avait tiré un sourire amer au jeune Guglielmo un 2 juin 1896 – prend sa retraite et cède ses intérêts à... personne.

13 ans plus tard, le 20 juillet le petit Guglielmo devenu vieux comme son vieux s'éteint à Rome, emportant avec lui son obsession de tous les instants: créer un monde sans “filo alla gamba”.

Un monde sans fil à la patte! Quelle utopie!
On est au XXIème siècle et je souris en écoutant les enfants jouer dehors avec le dernier jeu à la mode: une ficelle et deux couvercles de boîte à cirage.
Leurs rires clairs m'amusent et me rassurent. Stop. Je me sens bien. Stop. Je travaille dans une fabrique de fils de cuivre. Stop. Je suis payé au kilomètre. Stop. Je tréfile plus pour gagner plus. Stop...
Je ris. Pardonnez-moi ce style télégraphique qui m'a donné la mauvaise habitude de dire Stop à tout instant. Stop.

4 commentaires:

  1. Bravo, j'aime beaucoup le ton et l'humour de ton blog.
    C'est vrai, on on écrit souvent sous la torture, mais quel plaisir quand on y arrive !
    Je repasserai par là.

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  2. Merci d'être passé... Reviens quand tu veux :)

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  3. Aaah, hé hé ! Je donne la primeur de mon commentaire sur cette nouvelle lubie sarcasthoise à ton espace, vieux filou.
    J'étais certain que la consigne entraînerait un déferlement de tes talents; pas déçu !! Encore une bonne tranche de rigolade en Absurdie.
    Bravo, mon pélo.

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    1. Content de te voir rigoler en ce lieu, cher Tiniak !
      A la revoyure

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