Publié aux Impromptus Littéraires sur le thème "Faire le tour de soi"
L'autre
soir comme je reçois un vieil ami dans ma nouvelle propriété, il
me demande s'il peut faire le tour du propriétaire...
Je
me retourne – ce qui correspond déjà à un demi-tour de moi –
pour lui répondre que ça va de soi lorsqu'on ne s'est pas vus
depuis longtemps.
Il
me dit "Par où on commence ?"
J'avais
déjà fait la moitié du boulot, donc je termine mon tour sur
moi-même comme chacun fait pour soi et je lui dis :"Alors,
qu'est-ce que t'en dis ?"
En
riant il me répond :"J'ai encore rien vu", alors je refais
un tour sur moi-même mais plus lentement et dans l'autre sens.
Je
réalise que tourner sur soi-même ça n'a pas de sens, ça n'a même
aucun sens à part peut-être pour un derviche, ce danseur musulman
d'un mouvement qu'on appelle Memlevis (c'est vrai, même les vis
tournent)
Mon
vieil ami me regarde avec un petit rictus méfiant. "Tu cherches
à me jouer un tour" dit-il "ou bien tu me caches quelque
chose ?"
Je
ne vois pas quelle facette de moi j'aurais bien pu lui cacher en
tournant lentement; je lui proposerais bien de tourner autour de moi
à son propre rythme ce qui ne changerait rien pour lui mais il se
dirige délibérément vers le fond du jardin et dit :"T'as
toujours ta poule de luxe ?"
Alors
qu'on approche du poulailler, ce qui n'est pas une fin en soi je me
demande bien dans mon for intérieur qui a pu lui apprendre que j'ai
largué Germaine.
"T'en
as une nouvelle" s'exclame t-il, ce à quoi je réponds
machinalement "c'est une soie, on a toujours besoin d'une petite
soie chez soi" en prenant ma soie contre moi.
Il
est déjà reparti vers la maison : "Bon, on se le termine ce
tour ?"
Je
ne me souvenais pas en avoir commencé un autre mais on ne refuse
rien à un vieil ami, alors je tourne.
Tourner
sur soi avec une soie est un plaisir inconcevable – pourvu qu'elle
soit douce – pour quiconque ne l'a jamais expérimenté.
Mon
ami fronce les sourcils : "T'aurais pas des racines derviches par
hasard ?"
Je
lui réponds que j'ai des tas de racines au jardin, de l'ail et même
des aulx, des panais, des salsifis mais pas de derviches.
Il
rit encore : "T'as plus d'un tour dans son sac, toi"
Je
n'ai pas de sac à tour non plus, l'important étant de rester maître
de soi en toute circonstance, je prends sur moi et décide de faire
le tour de mon vieil ami ce qui en soi n'a rien d'original quand on
s'est perdus de vue.
Il
a bien changé, il a bigrement changé, moins blond, plus gros limite
bouffi.
Et
le voilà qui se fâche, qui s'emporte, soi-disant que je le regarde
d'un air critique... que je le déçois, et blablabla.
Finalement
il est plus fragile que je le pensais; on s'assoit – moi avec ma
soie et lui avec son quant-à-soi – j'essaie de le raisonner : "La
confiance en soi c'est essentiel tu sais, c'est important l'ego".
"Jouer
aux Legos ne changera rien !" m'assène t-il en se retournant.
Je
le raccompagne ou plutôt je le rattrape au portail : "Tu me
déçois François"
Il
se retourne encore – il avait des tours de retard sur moi – il
est furax : "Moi c'est Manu !"
Finalement,
chacun chez soi c'est pas mal non plus...
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