Publié aux Défis Du Samedi sur une idée de wagon
"Le
roi des trains, le train des rois" disait le dépliant en papier
glacé de La Compagnie des Wagons-lits que Germaine me tendit d'une
main tremblante.
Alors
on l'a déplié comme on déplie une carte au trésor à Kho Lanta...
Vienne, Bucarest, Istambul.
A
la page des tarifs on a fait marche arrière pour revenir prudemment
à la page Vienne.
Germaine
se pâmait déjà, elle se voyait en peignoir brodé au sceau de la
Compagnie, se glissant dans des draps de soie; moi je lorgnais sur
les sanitaires en argent et les couverts en marbre ou le contraire...
Elle
devait m'imaginer en Sean Connerie et moi je voyais Germaine en
Lauren Bancale à cause du roulis et du tangage; elle aurait la
nausée – comme d'habitude – peut-être irait-elle vomir son
caviar après quoi on retournerait s'empiffrer une collation trois
étoiles au Michelin.
Trois
jours plus tard on était sur le quai avec notre petite valise devant
la locomotive mais au XXIème siècle on doit dire motrice; les gens
de La Compagnie en avaient mis deux, une à chaque bout sans doute
pour sécuriser l'aller-retour.
Je
n'ai pas vraiment réalisé lorsqu'un technicien nous a dit qu'une
"motrice de TGV ça tire à 300 km/heure"...
A
peine franchi le marchepied de notre wagon-lit j'ai dû me séparer
de mes baskets et louer 150 euros une paire de souliers vernis trop
petits pour moi; ici La Compagnie ne plaisante pas avec le "dressing
code"... par contre le décolleté plongeant de Germaine ne
semblait déranger personne.
C'est
fou ce qu'il y a comme petit personnel dans ces train mythiques, et
que des hommes!
Germaine
avait bien vite investi notre cabine et s'était balancée sur le lit
en déclamant "Ah... voir Vienne et mourir !"
"On
dit Venise, ma bichette... pas Vienne" fis-je remarquer.
"L'Isère
n'est quand même pas très loin de l'Italie" rétorqua t-elle
avant que j'explique qu'on allait à Vienne en Autriche.
Elle
parut sidérée... d'autant plus qu'un steward nous apportait deux
coupes de mousseux ou de champagne qu'on siffla en même temps que la
loco... motrice.
L'Orient-Express
s'ébranlait et moi aussi car le mouvement si sensuellement décrit
par Agatha Christie me mit aussitôt des frénésies au creux des
reins.
Comme
j'allais me mettre en tenue adéquate à la salle de bains, Germaine
poussa un cri terrible : "Y'a pas d'wifi ! "
Non,
il n'y avait pas de wifi, pas d'internet, pas d'amis ni de followers,
pas de copines à qui envoyer des selfies de nos ébats sur rail !
Je
tentai de la calmer : "Tu devrais aller à la salle de bains, ma
bichette... c'est que du marbre comme chez Leroy-Merlin et des
robinets en or avec un lavabo encastré"
En
effet Germaine s'encastra comme elle put entre le lavabo encastré et
la porte qu'elle finit par refermer sur elle comme une huître.
"Une
motrice de TGV ça tire à 300 km/heure..." avait dit le
spécialiste locomoteur; c'est vrai qu'elle tirait vite, peut-être
un peu trop à mon goût.
J'avais
dû dormir longtemps et c'est le steward qui me réveilla avec deux
autres coupes de mousseux ou de champagne en m'annonçant que le
service de restauration touchait à sa fin.
Je
tambourinai à la porte du cabinet de toilettes.
"Je
suis bientôt prête ! " bougonna Germaine que j'imaginais
compactée, sandwichée dans l'étroit habitacle.
Soudain,
dans un éclair je crus lire "Stuttgart" par la fenêtre !
Non, ce n'était possible, pas déjà.
La
porte s'ouvrit... Germaine était effectivement comprimée mais dans
ce fourreau en lamé qu'elle portait pour le mariage de mon oncle
Hubert au siècle dernier.
Elle
avait dressé ses cheveux en choucroute avec un petit air Lady Gaga
plus que Lauren Bacall, bref elle était désirable comme on peut
l'être quand le dîner vous est passé sous le nez et que le train
file vers Vienne à la vitesse du son...
Je
la poussais déjà sur le lit quand des haut-parleurs grésillèrent
dans le couloir, un grésillement d'une époque révolue –
inspiration Orient-Express – suivi d'une annonce des plus actuelles
: "Mesdames, Messieurs, nous arrivons à destination dans
quelques instants"
Germaine
me claqua un gros baiser, me laissant déconfit sur le lit :" Et
voilà, je suis fin prête pour aller danser !"
"Pour
aller danser où çà ?"
"Et
bien à Vienne... on est bien à Vienne, non ?"
J'ai
pris la valise, récupéré mes baskets; j'allais avoir l'air malin à
danser les valses viennoises en baskets !
"A
nous, Beau Danube bleu" lança Germaine en descendant le
marchepied.
Une
heure plus tard nous franchissions majestueusement la porte des
urgences de l'hôpital Semmelweis-Ignaz-Frauenklinik – recommandé
par le Petit Futé – moi en baskets et Germaine à cloche pied.
Comme
il est compliqué de danser la valse avec une double fracture
tibia-péroné, nous avons été rapatriés le lendemain en avion
sanitaire.
L'avion
sanitaire c'est moins raffiné qu'un "sleeping" en
Orient-Express mais au moins le plateau repas est assuré et le
personnel est féminin...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire