Publié aux Impromptus Littéraires sur le thème des Mauvaises résolutions
Au
douzième coup de minuit à l'instant où Patrick Sébastien –
parvenu à l'ultime seconde de son ultime réveillon sur la 2 –
embrasse Elodie Gossuin qui embrasse Sophie Thalmann qui étreint
Hélène Ségara, ma Germaine émoustillée par ce spectacle me saute
sur le poil pour me rouler une de ces galoches dont elle a le secret,
une soupe de langue enflammée qu'un trop plein de champagne n'a pas
réussi à éteindre !
Sous
son gilet jaune – mon tout dernier cadeau de Noël – elle ne
porte rien qu'un gros cœur qui palpite aux premières minutes de
2019 et je me laisse entraîner vers le canapé où, choucroute en
bataille à la Bardot et gilet débordant d'amour, elle se met à
bramer le sempiternel : »Bonne année mon poussin ! »
Poussin
acquiesce, poussin accuse réception et – la bouche encore pleine
de ce traîneau glacé au chocolat noir et éclats de noisette conçu
par Picard, le roi du dessert, pas le skieur médaillé – poussin
renvoie l'ascenseur en tripotant les boutons à portée de main.
Mais
un autre brame interrompt ce jeu de vilain, un brame tonitruant,
caverneux avec cette pointe d'accent lapon que j'ai appris à
reconnaître et qui ne trompe pas.
Je
l'avais déjà oublié celui qui squatte notre maison au prétexte
qu'il fait trop froid au garage, Rudolph le caribou en chef de mon
cadeau de Noël dont je vous ai parlé la semaine dernière et qu'on
n'a pu se résoudre à euthanasier.
Il
faut préciser que ses huit congénères sont désormais au zoo de
Vincennes, que le vieux traîneau commence une seconde vie en
porte-géraniums au milieu du jardin et que Rudolph dort toutes les
nuits sur le canapé avec obligation d'éteindre ce feu rouge qui lui
sert de nez.
Poussin
– c'est moi – s'extrait des bras de Germaine pour traîner
Rudolph au garage.
Pas
facile de traîner par les rênes un renne entraîné lui-même à
traîner un traîneau … bref, j'éconduis le cervidé et je rejoins
bien vite ma moitié qui occupe amplement sa moitié de sofa.
Minuit
c'est avant tout l'heure où Germaine s'endort et j'ai toutes les
peines du monde à la maintenir à flot pour sacrifier à cette
coutume occidentale qu'on n'a jamais négligée en quinze ans de
mariage : l'échange des résolutions.
« F'est
quoi, ta nouvelle révolution pour deux mille dive neuf, ma férie? »
Les
éclats de noisette de Monsieur Picard n'ont pas facilité la
formulation mais dans l'oeil ranimé de Germaine, un éclat
particulier me confirme que mon message a atteint son ravissant
encéphale.
Prendre
du recul, esquiver une seconde galoche incendiaire, c'est tout ce qui
m'importe ; je veux connaître sa décision, celle qu'elle a
mûrement échafaudée, votée en tête à tête avec elle-même en
son âme et conscience et qu'elle appliquera avec opiniâtreté
jusqu'au douzième coup de minuit de 2019 si tout va bien.
D'année
en année elle sait ce qu'elle veut ma Germaine et aussi ce qu'elle
ne veut pas … perdre un tout petit peu de poids, trouver le numéro
de téléphone d'Oncle Hubert, ne plus retourner chez Picard … euh,
là c'est raté !
« Ve
t'écoute, ma férie» insiste-je – j'ai failli dire Ma furie –
lové en position défensive à l'autre extrémité du canapé de
Rudolph.
« Je
vais m'écouter » me lance t-elle fièrement.
« Euh...
f'est tout ? »
« J'en
ai marre de t'écouter, d'écouter les autres, cette année je vais
écouter mon corps et rien que mon corps ! »
« Et
qu'est-fe qu'il a à raconter ton corps qu'il ne m'ait déjà dit ? »
« Vois-tu,
l'an dernier j'ai écouté avec attention tes histoires de collègues
de travail, j'ai écouté les potins du voisinage, les blagues de
Bigard et j'ai même écouté ta mère donc cette année j'écoute
mon dos, mes épaules, ma poitrine, mes fesses, mon bassin, tout ce
qui est moi, mon corps quoi ! »
« Euh...
et à l'inftant fur fe canapé qui empefte le caribou, il raconte
quoi ton corps ? »
Tout
de jaune corsetée, ma royale échevelée, ma Germaine résolument
résolue se lève et se caresse : »Mon corps me dit d'aller
retrouver les bras de Morphée »
Pour
ceux qui l'ignorent, Morphée est un jeune blanc bec à poil tenant
un miroir dans une main et des pavots soporifiques dans l'autre …
alors si ce type possède d'autres bras je ne vois pas comment je
pourrais reprendre l'avantage.
Germaine
se dirige en titubant vers notre chambre, je tente une approche
improbable :
« Tu
ne préfères pas mes bras ? » (enfin une phrase qui se
joue des éclats de noisette de Monsieur Picard)
« Non
poussin, n'insiste pas car ... »
Du
garage monte un brame désespéré, on dirait la corne de brume du
Titanic, c'est l'heure du foin !
J'y
vais en traînant les pieds, devoir oblige, en jetant un regard
affligé à la silhouette lascive de Germaine rejoignant son Morphée.
Elle
ne m'a même pas demandé ma résolution.
C'est
la première fois, toute toute première fois – n'en déplaise à
Jeanne Mas – que ça nous arrive en quinze ans !
Elle
ne saura donc pas que j'avais pris la résolution de sortir les
poubelles ; il va falloir que je trouve autre chose.
Rudolph
m'accueille avec une langue de vingt centimètres.
Non
Rudolph, pas ce soir
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