lundi 25 mars 2013

Le potage “Hubert”

 
 
 
 
 
La cérémonie du potage était un véritable rituel chez l'oncle Hubert qui n'aurait laissé à personne le soin d'éplucher les patates, au prétexte que son aïeul s'était illustré “à la pluche” au temps des guerres napoléoniennes...
Si l'oignon fait pleurer, le légume fait rire” clamait-il en roulant les trois 'r' dans la plus belle tradition bourguignonne.
Il n'aurait plus manqué que nous épluchassions à sa place, alors qu'il possédait - selon ses dires - l'économe original conçu à Thiers par Victor Pouzet lui-même en 1929!
En grimaçant notre tante confirmait qu'en matière d'économie il n'avait de leçon à recevoir de personne.
Pour parfaire mon éducation, l'oncle - pour mes dix ans - m'intronisa Potager en second, distinction qui m'autorisait à “capturer” les légumes selon une liste immuable et savamment établie par l'oncle Hubert soi-même.
Ainsi du haut de mes dix ans, j'avais appris à reconnaître sans faillir la courgette, le pâtisson, l'aubergine, la fève et toute la panoplie des aromates indispensables à l'élaboration du potage “Hubert”.
 
Ce qui va suivre, je ne l'ai jamais avoué à personne de peur de passer pour un 'beuzenot' pourtant c'est l'exacte vérité:
Avec force cris et claquements de mains je dévalais au fin fond du jardin où avait été relégué le potager de manière à prévenir de mon arrivée... j'étais ainsi assuré que les légumes cesseraient leurs conversations et se laisseraient arracher sans protester.
Il faut dire que la première fois que je les ai entendus parler entre eux, j'ai tellement eu l'impression de déranger que je suis reparti le panier vide.
 
Quiconque n'a jamais entendu chuchoter des cucurbitacées ne peut pas comprendre.
Chez les plantes potagères, chaque famille a son patois, ses moeurs et ses codes; aussi le jardinier averti se gardera bien de les faire cohabiter au petit bonheur, au risque de déclencher une révolution ou voir avorter sa récolte!
Tenez, chez les solanacées, la bringelle et son drôle d'accent réunionnais ne supporte pas la promiscuité de la tomate, fut-elle italienne... une vieille et sombre histoire de génome à laquelle je n'ai rien compris mais que saurait aisément expliquer n'importe quel ingénieur à Grenoble.
Parlez de lard fumé à des fèves de Nice et vous les verrez blanchir sur pied instantanément... mais rapporter des fèves blanches à l'oncle Hubert, autant se suicider sur place!
Pour avoir épié leurs conversations, je savais que les légumes une fois redevenus muets n'en pensent pas moins mais je tenais à mon titre de Potager en second, dussé-je passer pour un tyran sanguinaire à l'heure du supplice de l'arrachage.
 
Mon forfait accompli, je détalais moins par peur de l'obscurité naissante que par honte des murmures de protestation qui montaient du carré éclairci...
Je débarquais alors en cuisine, triomphant et les pieds crottés, je déposais sans le regarder mon panier de forfaiture sous l'oeil bienveillant du Potager en Chef.
Cinquante ans après, je tends encore une esgourde au jardin mais je n'entends rien... soit ils se méfient de moi, soit je suis vraiment devenu sourd comme un pot. 
 
* beuzenot : niais, idiot

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