lundi 18 mars 2013

Pierre discount

 
 
 


“Vous êtes bien au siège de la société Viollet Leduc, veuillez ne pas quitter...”
“Ah ça! Non, je ne quitte pas!”
 
(Petite Chopinette d'attente : concerto pour piano n°1 en mi mineur)
“Chez Viollet, tout au maillet. Chez Leduc, jamais de stuc”
 
 
“Bonjour... Viollet Leduc arrière-arrière-arrière-petit-fils mais appelez-moi Pierre... Que puis-je pour vous?”
“Je suis madame Furieuse et je ne suis pas contente du tout!”
“Voyons ça... Furieuse, Furieuse... Oui, madame Furieuse... nous venons juste de terminer votre chantier de reprise en étanchéité d'un toit-terrasse d'immeuble situé au 30 Avenue de l'Opér...”
“Epargnez-moi la suite monsieur Leduc , je sais où j'habite et je suis furieuse!!”
“J'ai bien noté votre nom madame, mais en quoi puis-je vous être utile?”
“Comment ça, utile? Qu'est-ce que vous avez fichu aux angles du toit et jusque sur la façade?”
“Je crains fort de ne pas vous suivre, madame Furieuse...”
“Je parle de ces affreuses choses, de ces excroissances immondes, monstrueuses!! Qu'est-ce que c'est que ça?”
“Assurément, vous parlez des gargouilles, madame”
“Des gargouilles? Qui vous a demandé d'équiper des gargouilles?”
“Nous n'équipons pas, nous taillons des gargouilles depuis 1830 madame, comme le faisait notre ancêtre Eugène et personne ne s'en est jamais plaint”
“Mais moi - aujourd'hui au vingt et unième siècle - je m'en plains! Je me plains de voir ce bestiaire grimaçant et grotesque au dessus de ma tête, qui dénature mon immeuble et fait jaser tout l'arrondissement!!”
 
“Madame eut sans doute préféré des sculptures épannelées, à peine dégrossies comme on en voit de nos jours où seule compte la rentabilité. Madame ignore sans doute que nous sommes tailleurs d'images de père en fils? J'entends déjà mon aïeul qui rigole si je puis me permettre ce trait d'esprit”
“Un trait d'esprit? Où ça?”
“Qui rigole madame... qui rigole... Bref, pardonnez-moi cette saillie qui eut tant fait glousser mes pairs!”
“A propos de saillie, vous allez me faire le plaisir de démolir toute cette ménagerie avant que je débarque chez vous pour faire un scandale!”
“Etes-vous sérieuse madame Furieuse? Démolir ces dragons, ces griffons, ces serpents qui sifflent sur vos têtes, ces oeuvres d'art qui dégorgeront et glouglouteront à la première ondée, épargnant murs et croisées?”
“Oui! Virez-moi ces glougloutonneries, ces grenouilles, ces citrouilles, ces choses sans nom dont je n'ai que faire et qui doivent coûter une fortune!”
 
“En effet madame, toutes nos pierres calcaires viennent du bassin de la Seine”
“Viendraient-elles de Mongolie que vous allez me virer ce bazar dès aujourd'hui!”
“Casser du pur liais-cliquard de Vaugirard? Pas même en rêve, madame Furieuse. Songez que mon grand oncle Arsène se suicida après qu'on lui fit raser une gargouille en simple grès des Vosges au prétexte qu'elle ressemblait trop à Léon Blum”
“Monsieur Viollet-Leduc, vous vous suiciderez ensuite comme bon vous semblera mais je vous attends dans l'heure pour raser tout ça!”
 
“Chère madame, puis-je vous faire part d'une bonne nouvelle qui vous ravira? Ce moi-ci, notre offre promotionnelle concerne justement la pierre liais-cliquard. Elle vous permet de bénéficier d'une remise... substancielle de...”
 
(Petite Chopinette d'attente : fin du concerto pour piano n°1 en mi mineur)
“Chez Viollet, tout au maillet. Chez Leduc, jamais de stuc”
 
“Allo??”
 
(Petite Chopinette d'attente : concerto pour piano n°2 en fa mineur)
“... jamais de stuc... Chez Viollet, tout au maillet. Chez Leduc, jamais...”
 
“Allo???”  

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