“Vous êtes bien au siège de la société Viollet Leduc, veuillez ne pas quitter...”
“Ah ça! Non, je ne quitte
pas!”
(Petite Chopinette d'attente : concerto
pour piano n°1 en mi mineur)
“Chez Viollet, tout au
maillet. Chez Leduc, jamais de stuc”
“Bonjour... Viollet Leduc
arrière-arrière-arrière-petit-fils mais appelez-moi Pierre... Que puis-je pour vous?”
“Je suis madame Furieuse et je ne suis pas
contente du tout!”
“Voyons
ça... Furieuse, Furieuse... Oui,
madame Furieuse... nous venons juste de terminer votre chantier de
reprise en étanchéité d'un toit-terrasse d'immeuble situé au 30 Avenue
de l'Opér...”
“Epargnez-moi la suite monsieur Leduc , je
sais où j'habite et je suis furieuse!!”
“J'ai bien noté votre nom madame, mais en
quoi puis-je vous être utile?”
“Comment ça, utile? Qu'est-ce que vous avez
fichu aux angles du toit et jusque sur la façade?”
“Je crains fort de ne pas vous suivre,
madame Furieuse...”
“Je parle de ces affreuses choses, de ces
excroissances immondes, monstrueuses!! Qu'est-ce que c'est que ça?”
“Assurément, vous parlez des gargouilles,
madame”
“Des gargouilles? Qui vous a demandé
d'équiper des gargouilles?”
“Nous n'équipons pas, nous taillons des
gargouilles depuis 1830 madame, comme le faisait notre ancêtre Eugène et personne ne s'en est jamais plaint”
“Mais
moi - aujourd'hui au vingt et unième
siècle - je m'en plains! Je me plains de voir ce bestiaire grimaçant
et grotesque au dessus de ma tête, qui dénature mon immeuble et fait
jaser tout l'arrondissement!!”
“Madame
eut sans doute préféré des
sculptures épannelées, à peine dégrossies comme on en voit de nos
jours où seule compte la rentabilité. Madame ignore sans doute que nous
sommes tailleurs d'images de père en fils? J'entends déjà
mon aïeul qui rigole si je puis me permettre ce trait d'esprit”
“Un trait d'esprit? Où
ça?”
“Qui rigole madame... qui rigole... Bref,
pardonnez-moi cette saillie qui eut tant fait glousser mes pairs!”
“A propos de saillie, vous allez me faire le
plaisir de démolir toute cette ménagerie avant que je débarque chez vous pour faire un scandale!”
“Etes-vous
sérieuse madame Furieuse? Démolir
ces dragons, ces griffons, ces serpents qui sifflent sur vos têtes,
ces oeuvres d'art qui dégorgeront et glouglouteront à la première ondée,
épargnant murs et croisées?”
“Oui! Virez-moi ces glougloutonneries, ces
grenouilles, ces citrouilles, ces choses sans nom dont je n'ai que faire et qui doivent coûter une fortune!”
“En effet madame, toutes nos pierres
calcaires viennent du bassin de la Seine”
“Viendraient-elles de Mongolie que vous
allez me virer ce bazar dès aujourd'hui!”
“Casser
du pur liais-cliquard de Vaugirard?
Pas même en rêve, madame Furieuse. Songez que mon grand oncle Arsène
se suicida après qu'on lui fit raser une gargouille en simple grès des
Vosges au prétexte qu'elle ressemblait trop à Léon
Blum”
“Monsieur Viollet-Leduc, vous vous
suiciderez ensuite comme bon vous semblera mais je vous attends dans l'heure pour raser tout ça!”
“Chère
madame, puis-je vous faire part d'une
bonne nouvelle qui vous ravira? Ce moi-ci, notre offre
promotionnelle concerne justement la pierre liais-cliquard. Elle vous
permet de bénéficier d'une remise... substancielle
de...”
(Petite Chopinette d'attente : fin du
concerto pour piano n°1 en mi mineur)
“Chez Viollet, tout au
maillet. Chez Leduc, jamais de stuc”
“Allo??”
(Petite Chopinette d'attente : concerto
pour piano n°2 en fa mineur)
“... jamais de stuc...
Chez Viollet, tout au maillet. Chez Leduc, jamais...”
“Allo???”
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire