samedi 12 novembre 2016

Tra la la la lère

Remis au goût du jour pour les Défis Du Samedi sur le thème "Petits riens"






Au menu de mes petits riens il y a d'abord le cérémonial de chabrot (en cinéphile chevronné, notre oncle Hubert disait Chabrol).

J'avais toujours vu les anciens rafraîchir le fond de leur assiette de soupe avec une grande rasade de Passetoutgrain et on jouait mes cousins et moi à qui imiterait le mieux leurs grands Sluurp qui ponctuaient ce rituel ancestral.

D'où sortait ce Chabrot ou Chabroù? Sans doute un bienfaiteur de l'humanité à en croire les yeux pétillants des vieux.

De mauvaise grâce Tante Anastazia s'y était mise elle aussi, car rien n'égalerait jamais son infâme wodka frelatée à l'herbe de bison.

Un lointain cousin des Baux de Provence qui connaissait Mistral par cœur soutenait que l'expression venait de cabroù parce qu'on boit dans son assiette comme le ferait une chèvre, mais Oncle Hubert qui avait vu “Le beau Serge” en cinémascope à l'Alhambra ne jurait que par son Chabrol.



Mon second petit rien c'est l'incontournable ban bourguignon qu'on entonnait dans les banquets et surtout au dessert après quelques chansons paillardes dont j'ai longtemps ignoré les paroles puisqu'on nous envoyait voir ailleurs si on y était!

Quiconque sait chanter “Tra la... Tra la... Tra la la la lère...” en approchant les mains en forme de coupe à hauteur de sa trogne pour les faire tourner comme si on regardait à travers est sans le savoir un pro du ban bourguignon.

Mes cousins et moi-même avions inventé une variante à une seule main qui permettait de pincer les fesses de la voisine; du coup, nos vieux avaient copié cette même variante pour nous coller une torgniole en retour.

A quoi ça tient un petit rien? A rien du tout. A deux maigres onomatopées, cinq petites notes et neuf claquements de mains, pourtant ces simples scènes de liesse me font encore frissonner aujourd'hui.

Au XXIème siècle on ne chante plus, on ne vit pas de petits riens mais de grands tout qu'on n'aura jamais, on fait des selfies qu'on poste aussitôt sur fesse de bouc, histoire de montrer sa tronche, ses fesses ou un doigt d'honneur au monde entier et puis on va faire la sieste...

Et le kir, le vrai, celui avec un K majuscule pour lequel notre chanoine dijonnais céda l'usage commercial de son nom?

Ce petit rien tient en trois lettres et dix centilitres mais c'est magique.

Un vrrrai blanc-cass, m'sieurs dames c'est un tierrrs de vin blanc cépage aligoté et deux tierrrs de crrrème de cassis à 20°. Ajoutez-y un bon tierrrs d'accent bourrrguignon en rrroulant les 'R' et ces quatrrre tierrrs vous envoient tout drrroit au parrradis!!

Et puis chez nous on n'en boit jamais un seul mais deux.

“Vindiou! Tu vas pas rrrepartirrr sur une seule jambe!” disait notre voisin qui un beau jour oublia de remonter de sa cave (sacrrré Dudule)

Vous repasserez avec vos communards au vin rouge, rince-cochons, kir gaulois à l'hydromel, breton au cidre, royal au crémant ou impérial au champagne! Pourquoi pas un kir alsacien à la Kro tant qu'on y est?



Enfin comment oublier ce petit rien qui fait saliver, ces escargots qu'on sert aux fêtes joyeuses et aussi aux enterrements... oui, pourquoi pas aux enterrements ?

Si aujourd'hui l'escargot de Bourgogne arrive tout droit et sans se presser des pays de l'Est, à mon époque il naissait, vivait et mourait chez nous... comme nos vieux.

Pour ces funestes réjouissances le plat de cagnoles était servi religieusement avec un sachet de cendres issu de sa cuisson pour figurer une sorte d’hommage rendu aux cendres du défunt.

Oncle Hubert rompu aux cérémonies funèbres y allait toujours du même bon mot pour ajouter un zeste de gaieté à la cérémonie: ”Si haut qu'on monte, on finit toujours par des cendres” disait-il en ignorant l'oeillade assassine de tante Anastazia.

Je réalise que ces petits riens sont autant de coutumes qui éveillèrent ma curiosité de gosse et forgèrent mon palais - je veux dire mon caractère - et je me dois de terminer par ce petit rien de vérité qu'Oncle Hubert ne manquait jamais d'asséner à son Anastazia : ”Les coutumes c'est comme les femmes, c'est fait pour être respecté et bousculé aussi”.


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