Publié sur le site MilEtUne
A
l'époque pour nous autres gamins le cinéma était un évènement
car quel que soit le film l'entracte était l'occasion de découvrir
des numéros de music-hall, des acrobates ou des magiciens.
Les
profonds fauteuils de velours rouge de l'Alhambra avaient le même
velouté que la méridienne de tante Jeanne, une banquette qu'on
n'avait le droit de toucher que du bout des doigts après avoir fini
notre goûter et nous être lavé les mains à l'office.
Alors
avoir un tel trône rien que pour soi, c'était fabuleux!
Ce
jour-là on projetait “Les feux de la rampe” de Monsieur Chaplin.
“Ne
soyez pas surpris” nous avertit l'ouvreuse “à chaque
représentation l'artiste s'est dissous”
“Dis
M'man, dix sous ça fait combien en francs?” demanda mon petit
frère.
“Un
demi-franc” répondit ma mère du tac au tac.
Je
trouvai pour ma part que c'était cher payé pour un entracte où le
boniment de la vendeuse de glaces et le va et vient des clients
gâchaient le spectacle.
Je
me demande encore aujourd'hui ce qu'une ouvreuse de cinéma pouvait
bien trouver à ouvrir à part le porte-monnaie du quidam en mal de
septième art...
J'admirais
ma mère pour son habileté à calculer et sa dextérité à “tenir
les cordons de la bourse” comme elle aimait à le répéter, aussi
ne fus-je pas surpris qu'elle ne donne pas ces trente sous puisque
nous étions trois avec mon petit frère.
Je
me souviens avoir été réveillé par lui à l'entracte :”Regarde,
l'artiste entre en scène!”
C'était
un petit bonhomme rougeaud pour ne pas dire cramoisi tout habillé de
rouge et qui gonflait des ballons rouges... toujours est-il que
s'étant envolé vers les cintres au moyen d'un énorme ballon rouge
via une rampe de spots surchauffés il explosa bruyamment!
Les
Feux de la rampe venaient de faire une victime.
Fondu,
liquéfié, volatilisé... les mots manquent dans ces circonstances.
Derrière
nous l'ouvreuse sortie de nulle part semblait ricaner. “Je vous
avais prévenus” souffla t-elle.
C'est
fou comme il suffit à une ouvreuse d'avoir été sevrée de trente
sous pour devenir acariâtre.
J'avais
vu fondre des poissons-pierre dans Le monde du Silence et disparaître
des phasmes au jardin botanique mais jamais un petit bonhomme qui
sent le roussi accroché à un gros ballon rouge.
Mon
petit frère ne cessant de s'agiter sur son fauteuil comme si le
diable en personne lui pinçait les fesses, nous quittâmes
précipitamment la salle des trônes.
De
retour à la maison notre mère nous fit copier la conjugaison du
verbe dissoudre jusqu'au futur antérieur...
“J'aurai
dissous... Tu auras dissous”... mon petit frère jubilait.
Correct ! Cent sous, c'est cinq francs. Calculez-moi ça en Euros jusqu'au dernier denier !
RépondreSupprimerManquerait plus qu'on revienne aux francs :)
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