Publié sur le site MilEtUne d'après la photo de Anita Anti Photography
Voilà
exactement deux mois que Blanche - qu'on appelait Cappucetto Rosso ou
petite cape rouge - se repose (et les lecteurs aussi) depuis qu'elle
s'est endormie, adossée à une grande rame de haricot écossais à
écosser - un tartan d'Edimbourg - aussi est-il
grand temps qu'elle se réveille... ou alors qu'elle s'endorme à
jamais.
Deux
mois que sa marâtre ronge son frein au château dans l'attente
d'ingrédient ou deux pour confectionner son masque de beauté de
Cesare Frangipani... etc (on ne va pas tout répéter non plus)
“Nom
d'un petit pot de beurre” baille Blanche en s'étirant “j'ai
l'impression d'avoir dormi dix ans!”
“Ça
m'étonnerait fort” répond une voix toute proche “vous avez à
peine dix ans”
Etonnée,
Blanche découvre un fringant écuyer, un de ces jeunes imberbes vêtu
de rouge et bleu et coiffé d'un chapeau comme on n'ose en porter que
dans les contes et dans les jeux de cartes.
“Quésaco?”
demande en provençal Blanche à qui sa great-mother-fucker a
conseillé de se méfier des fringants écuyers imberbes.
“Je
suis La Hire mais appelle-moi simplement Lahire” répond-il en se
découvrant “compagnon d'armes de Jeanne d'Arc mais appelle-la
simplement Pucelle et je suis valet de cœur atout et avant tout!”
“Le
copain d'une pucelle?” s'esclaffe Blanche “et moi je suis la
Reine de cœur, gros naze”
“Reine
de cœur, assurément” réplique l'écuyer toujours fringant et
toujours imberbe “toute jeune que vous êtes je vous ai reconnue,
vous êtes la Reine Judith... quant à moi je suis Lahire et pas
Gronaze!”
Sidérée,
Blanche se cramponne à sa rame de tartan d'Edimbourg :”Tu
commences à me courir sur le haricot avec ta Judith! Je me nomme
Blanche ou Cappucetto Rosso ou à la rigueur petite cape rouge mais
pas Judith, valet de cœur de pacotille!”
“Pourtant
vous portez l'habit rouge et bleu ainsi que le voile bleu de la Reine
de cœur” rétorque t-il.
“Où
t'as vu jouer ça?” s'emporte Blanche qui en oublie son provençal.
“Mirez-vous
donc dans cette pièce d'eau” rétorque l'écuyer imberbe mais
astucieux “et vous vous verrez telle que je vous vois, ma Reine”
“Ça
suffit à la fin! Je suis Blanche et pas Marennes”
Alors
Blanche lâche sa rame, s'approche de la pièce d'eau et s'y penche.
De
l'autre côté du miroir improvisé, une créature semble en faire de
même - une greluche sapée de rouge et bleu et d'une burqa bleue -
lui renvoie un timide sourire en lui tendant une rose de la main
droite.
“Qui
es-tu, femme sans âge?” bredouille Blanche toute chose en prenant
la pose et la rose.
Dans
les contes, les reflets ont réponse à tout, y compris à ceux qui
bredouillent.
“J'essaie
d'être ton reflet” répond le reflet “celui de Judith, la Reine
de cœur mais c'est pas fastoche avec cette pollution”
“Qu'est-ce
que je disais?” persifle l'écuyer imberbe.
Loin
d'être convaincue par cette image trouble, Blanche porte la rose à
son nez pour la flairer comme on fait dans les contes et partout où
on veut sentir la rose..
“Alors
si je suis la Reine de cœur comme tu le prétends” minaude Blanche
“qui serait mon Roi de cœur?”
“Vous
ne pouvez pas ignorer notre bon Roi Charles, ma Reine” s'étonne
l'écuyer imberbe et stupéfait “ce Charles qu'on nomme Grandes
esgourdes!”
“Je
ne connais que ma marâtre... et c'est bien assez” répond Blanche.
A
ces mots la rose se transforme en vulgaire caillou et dans un grand
plouf tombe dans le miroir improvisé et pollué.
“Quésaco
encore?” insiste Blanche en provençal.
“On
aurait dit une huître de ma Reine” suggère l'écuyer imberbe “une
numéro deux, pour le moins!”
“Une
huître de Marennes?” s'étonne Blanche “alors qu'attends-tu pour
aller me la chercher?”
Ne
faisant ni une ni deux ni trois, l'écuyer imberbe plonge à sa suite
et disparait dans un monstrueux splash comme on n'en voit jamais dans
les contes mais cette fois-ci, oui.
Restée
seule, Blanche se met à danser :”Reine de cœur, Reine de cœur...
après tout, pourquoi pas?”
“Et
qu'est-ce qu'on fait pour le caillou?” l'interpelle le reflet du
miroir improvisé, pollué et splashé.
“Est-ce
ainsi qu'on s'adresse à la Reine de cœur?” s'écrie Blanche “pour
le caillou... pas de quoi en faire toute une histoire mais j'en
causerai à un Poucet, à l'occasion”